22 Mai 2019 : Pierrick Fine, Antoine Rolle et Aurélien Vaissière, aspirants guides chez Kazaden, ainsi que leur comparse Symon Welfringer, se lancent dans une expédition à travers les sommets inexplorés de la Yarkhun Valley, en plein cœur du Karakoram au Pakistan. Le jeune quatuor a ainsi signé la première ascension du Risht Peak (5 960 m) et ouvert une superbe ligne mixte (M6/5/70°, 500 m) qu'ils appelleront “Sur la route de l'école”. Une aventure vers l’inconnu à presque 6 000 mètres d’altitude, aucun objectif précis en tête si ce n’est celui de la découverte et du plaisir - et la possibilité de varier les disciplines dans un territoire que nul n’a encore conquis.
Antoine nous raconte.
Sommaire
Rejoindre le camp de base
Arrivés à Islamabad, la capitale du Pakistan, il nous faudra cinq jours de voyage sur des routes très difficiles pour rejoindre le village de Lasht dans la Yarkhun Valley. Cette première étape en bus et 4x4 est loin d’être reposante mais nous permet de voir du pays. Tout au long du périple, nous sommes escortés par un véhicule d’hommes masqués et armés. Une situation un peu étrange et pourtant courante dans cette région frontalière de l’Afghanistan.
Après avoir “marchandé” avec les habitants du village, nous établissons notre camp de base au fond de la Yarkhun Valley, près d’une rivière, relativement basse en altitude (environ 3 000 m). Un choix judicieux qui nous permet d’être plus confortables et de réduire les coûts. D’ici, pas besoin de porteur et en prime, nous avons une vue imprenable sur notre objectif, le Thui Zom II. Du haut de ses 6 520 m, il nous offre une magnifique ligne de neige et de mixte, dans un environnement de roche et de glace.
Nous avons prévu six jours d’acclimatation sur le Risht glacier. La première journée, nous commençons par faire les 1 100 mètres de dénivelé qui nous séparent de la montagne. Les sacs sont lourds et le soleil écrasant mais à mesure que nous gagnons en altitude, les sommets se dessinent autour de nous. Le soir, nous installons nos petites tentes au pied des paroies et une fois le soleil couché, le mercure descend et nous trouvons rapidement refuge dans les duvets.
Pendant cette phase de progression, nous nous frayons un chemin entre paroies rocheuses, séracs et crevasses. Le dernier jour, nous tentons d’atteindre un col mais une fois arrivé à 5 700 m, la neige de mauvaise qualité nous dissuade de continuer. Nous avons bien fait car quelques heures plus tard, des coulées de neiges se déversent.
Le dernier bivouac à 5 400 m nous offre une vue magnifique sur le Thui Zom II. Nous repérons d’ailleurs une ligne plus logique que celle que nous avions imaginée devant nos écrans. Ce sera notre chemin, ou du moins, c’est ce que nous croyons. Le lendemain, le retour au camp de base se fait dans des conditions idéales. Une fine couche de neige sur fond dur nous permet de réaliser une pure session de ski pour descendre le glacier. Les courbes s'enchaînent, la neige est légère, c’est un beau cadeau que nous offre la montagne.
Une fois en bas, l’acclimatation est faite et nous sommes sereins.
Un peu d’entrainement
Après une journée de repos au camp de base, nous décidons de profiter des deux jours de beau temps avant la dépression qui s’annonce pour faire un peu de bloc. Nous préparons tout le matériel et marchons une trentaine de kilomètres plus bas dans la Valley. Nous tombons sur de superbes blocs posés au milieu d’un champs. Dalles, dévers, réglettes, jetés, il y en a pour tous les goûts et tous les styles, ce sera notre terrain de jeu pendant deux jours.
La déception
Le mauvais temps est arrivé. Alors qu’on attendait un créneau de six jours pour réaliser le sommet (il nous fallait deux jours d’approche et au moins trois jours supplémentaires pour faire le sommet + la descente), la fenêtre météo se réduisit considérablement. Les messages d’Ambroise, notre routeur, ne nous annoncent plus que trois jours d’anticyclone. Notre projet s’effondre et notre rêve de gravir le Thui Zom II s’envole. La nouvelle est difficile à digérer et le moral à ce moment là est au plus bas. Après une nuit difficile, nous cherchons un plan B.
Il y a toujours des alternatives
Durant notre session d’acclimatation, nous avions aperçu un sommet en forme de pyramide avec plusieurs lignes distinctes et une belle goulotte, à droite de la paroie. On calcule qu’il nous faut une première journée d’approche, puis une autre pour réaliser la voie. C’est décidé, ce sera notre nouvel objectif.
A partir de là, tout se passe comme prévu. Nous avons deux belles journées pour arriver au pied du Risht Peak et avec nous, tout le matériel de ski, de bivouac et de grimpe. Même en optimisant au maximum, les sacs pèsent sur le dos et rendent la marche laborieuse. Je ne sais pas si c’est l’altitude, le poids du sac ou la forme physique mais l’effort est intense et je suis exténué. Heureusement, les copains sont là et on se motive. Arrivés aux bivouacs, chacun s'affaire à préparer ce qu’il nous faut pour passer la nuit : faire fondre la neige, monter la tente, réparer son matériel.
C’est toujours compliqué de progresser en altitude. Les pentes de neige sont raides, l’oxygène se fait rare, chaque pas demande un effort intense sous ce soleil de plomb. La qualité de la neige se dégrade et notre vigilance doit être au maximum. Alors on s’encorde, on se relaye pour prendre la tête de la cordée avant d’arriver à notre dernier bivouac, à 5 100 m.
Après une courte nuit, nous partons rejoindre l'arête sommitale.
Le sommet
On se suit pour tracer la pente, on se hisse à l’aide de nos piolets, on passe une rimaye, puis après une grande traversée et un peu de mixte, nous atteignons le pied de la goulotte. Encore plus belle que ce que l’on imaginait. Une magnifique longueur de glace se dresse devant nous. Aurélien prend les devants. A son tour, Symon enchaîne 50 m de mixte pour rejoindre un emplacement de relais. Ici, la goulotte se fait plus large et laisse place à une grande coulée de glace. Nous nous relayons pour prendre la tête de la montée et passons la barre des 5 900 m. La vue est imprenable, les montagnes pakistanaises se dessinent à l’horizon.
Nous ne sommes plus très loin du sommet mais nous ne connaissons pas sa hauteur. Nous continuons à avancer sur la dernière pente et enfin, nous arrivons sur cette petite crête que l’on croirait faite juste pour nous. Nous jetons un œil sur l’altimètre et... 5 960 m. Petite déception, nous ne passerons pas la barre des 6 000 mais heureusement, la vue sur le Thui Zom II nous offre une belle récompense. Nous nommons ce sommet le Risht Peak car il se trouve juste devant le Risht glacier. Quelques minutes plus tard, il nous faut déjà penser à la descente car le mauvais temps arrive plus vite que prévu. Nous rentrons péniblement sous la neige, récupérons nos ski à la frontale et passons une nuit au bivouac n°3. Ce soir là, le sommeil ne venait pas, nous avions des images plein la tête. Le lendemain, le temps est le même, la neige n’est pas terrible ce qui nous vaut quelques belles gamelles jusqu’au camp de base.
Cerise sur le gâteau
Juste avant de prendre la route pour Islamabad, nous avons eu la chance d’avoir deux jours de beau temps. Nous décidons d’en profiter pour explorer une gorge repérées plus bas dans la Valley (à vue d’oeil, elle devait faire 150 mètres de hauteur) sur du rocher en grande voie. Ni une, ni deux nous abandons la haute montagne et nous retrouvons au pied des paroies. D’ici, de nombreuses lignes nous attirent, le potentiel est incroyable ! Un dernier bivouac au bord de l’eau, au pied des falaises et nous définissons nos objectifs. Pierrick et Symon choisissent la face la plus raide en rive droite du canyon. Aurélien et moi, nous nous lançons sur une ligne plus évidente en rive gauche. Face à face, nous nous élançons dans les dévers et les fissures pour une magnifique grimpe très aérienne. Arrivés au sommet, nous observons Symon qui nous offre, sur la dernière ligne, une de ses plus belles performances. Une longueur de 7b+/7C. Cette dernière escapade signe la fin de notre expédition dans la Yarkhun Valley.
L’interview de Pierrick et Antoine
Kazaden : Prendre la décision de partir au Pakistan ne se fait pas sur un coup de tête ! Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix ?
Antoine : Symon, Auré, Pierrick et moi, nous nous connaissions depuis plusieurs années mais nous n’avions jamais eu l’occasion de grimper ensemble. Notre amitié s’est faite sur les paroies de roche et de glace. Nous partageons la même passion de l’exploration, la même vision de l’alpinisme. Notre motivation nous pousse davantage vers la découverte et l’exploration que la performance pure. Symon était déjà parti dans la région de Karimabad et avait énormément aimé cet endroit. On y trouve des montagnes exceptionnelles (Trango Towers, Gasherbrums), de nombreux sommets vierges et encore infranchis.
Pierrick : la météo a beaucoup influencé notre choix. Nous avons pas mal hésité entre le Pakistan et l’Inde mais fin avril, début mai, créneau que nous avions convenu ensemble, le temps est plus clément dans cette région reculée de la Yarkhun Valley.
Kazaden : comment se passe la phase de préparation ? Aviez-vous une idée de ce qui vous attendait là-bas ?
Antoine R. : Après vingt ans d’interdiction, la Yarkhun Valley a ouvert ses frontières aux étrangers. Grâce à d’étroites relations avec une agences locale, nous avons réussi à obtenir ce qui pourrait bien être le premier permis délivré à des Occidentaux. Pour effectuer du repérage, nous nous sommes appuyé sur l’un des meilleurs alliés technologiques de l’alpiniste : Google Earth. Grâce aux photos (pourtant anciennes) qui sont d’une incroyable précision, nous avons pu repérer les zones à explorer. Pour sortir des sentiers battus, nous avons choisi d’aller à l’extrême Nord Ouest du pays, éloigné des massifs les plus fréquentés. Par contre, se baser sur de simples photos aériennes soulève de nombreuses incertitudes, notamment sur la possibilité de franchir les glaciers.
Pierrick F. : généralement, on s’entraîne quand on a un objectif bien précis en tête. Or, ce n’était pas le cas. Nous étions en mode découverte et exploration, pas vraiment à la recherche de la pure difficulté technique. Il nous a donc fallu préparer le matos en pensant à toutes les disciplines que l’on pouvait faire en montagne (escalade, bloc, grande voie, ski, alpi, etc.). Pour ne rien oublier, rien de mieux qu’un bon vieux tableau excel. Ensuite, nous avons composé avec ce qu’on a trouvé sur place.
Kazaden : Quel a été votre meilleur souvenir ?
Antoine R : le jour de l’ascension du sommet a été dément. Le Risht Peak est très esthétique, avec une magnifique arête neigeuse sur son sommet. On a pu y faire de belles longueurs d’escalade en mixte et de la haut, la récompense est immense, avec ces montagnes à perte de vue. Une journée parfaite pour une expédition en montagne.
Pierrick F : comme ce n’est pas un objectif que nous nous étions fixé, je n’ai pas eu le sentiment d’accomplir quelque chose de grand, comme pourrait l’être un sommet dont on rêve depuis longtemps. Mais être là-haut avec les copains et voir toutes ses montagnes au loin... la première chose que je me suis dite, c’est qu’il y a encore pas mal de boulot ! (rire) C’est très motivant et finalement, je me rends compte que j'éprouve davantage de bonheur à travers le partage et la découverte que par l’accomplissement en général.
Kazaden : Quel effet ça fait de réaliser une première ?
Antoine : Au delà de l’ascension d’un sommet (qui ne sera certainement jamais refaite d’ailleurs !) ce qui me plaît avant tout, c’est de parcourir des territoires inexplorés. Dans notre société actuelle, nous sommes agglutinés dans les villes, les uns sur les autres et c’est assez fou de se dire que tu peux encore être le premier à marcher là où personne n’a jamais mis les pieds.
Kazaden : Cette voie que vous avez ouverte, pourquoi l’appeler “Sur la route de l’école” ?
Pierrick F. : Pour différentes raisons. La première, c’est qu’il il y avait une école près du camp de base où nous étions. Des jeunes venaient nous rendre visite de temps en temps. Ensuite, nous avons tous les quatre suivi une formation de guide. C’était donc une suite logique, comme si cette aventure au Pakistan était notre dernier Travail Pratique.
Kazaden : Qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre d’aventure ?
Antoine R : ces dernières années, j’ai beaucoup aimé partir sur des expéditions où il y a de nombreuses alternatives possibles. J’aime ce genre voyage où il est possible d’adapter sa discipline en fonction des conditions. Cela permet de ne pas avoir de frustration et d’optimiser tous les créneaux.
Moins d’objectifs, certes, mais un panel de possibilités plus important. De nombreux problèmes surgissent auxquels il faut trouver des solutions. Ton imagination est libre, le projet change et te donne le choix de réaliser ce que tu souhaites faire.
Pierrick F : Nous sommes partis sans objectif précis et ce voyage a comblé toutes nos attentes, bien au-delà de nos espérances. C’était la première fois que dans une expé nous pouvions faire autant de disciplines d’une qualité inattendue : escalade grande voie, escalade bloc, ski sur un glacier jamais traversé et alpinisme en altitude.
Kazaden : Des projets à venir ?
Pierrick F : déjà, le film de cette expé est en cours de montage et devrait bientôt sortir. Ensuite, au printemps, j’ai prévu d’aller en Amérique du Sud avec le GEAN (Groupe Excellence Alpinisme National) et il est possible que j’aille au Népal en automne prochain, mais rien n’est défini. J'arrête un peu les compétitions de cascade de glace pour profiter pleinement de celles qui sont naturelles.
Antoine R : la Norvège cet hiver pour faire de la glace, l’Ecosse cet été pour tenter une trilogie de monolithes qui se trouvent en bord de mer.
Antoine Rolle
L'aspirant guide de a 28 ans est originaire de la région niçoise. Très jeune, il commence l’escalade avec ses parents et intègre un club associatif de montagne. Son apprentissage de la verticalité continue au sein du groupe espoir Alpes Maritime de la FFCAM (Fédération française des clubs alpins et de montagne). Au cours de ses études et de ses rencontres, sa pratique évolue, lui permettant de progresser au contact des meilleurs et de se confronter à des voies de plus en plus difficiles (notamment dans les Grandes Jorasses). En 2015, Antoine entre dans le Groupe Excellence National d’Alpinisme de la FFCAM. Encadré par des coachs renommés, il apprend à monter des expéditions et se rend plusieurs fois par an dans les endroits les plus reculés du monde, à la découverte de massifs inexplorés.
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Pierrick Fine
Pierrick a grandi en Chartreuse, au pied de la Dent de Crolles, ou il a passé son enfance à grimper et explorer les différents sentiers du vertige. Dès le lycée, il suit une formation complémentaire spécialisée “Montagne” qui lui permet de faire un premier pas dans cet univers qui le passionne. Après un passage par la filière Staps de Chambéry, il réalise des cascades de glace en compétition et devient vice-champion du monde chez les moins de 22 ans en 2015, et 6ème chez les adultes. Sa volonté d’aider les autres et de développer le sport le pousse à passer une licence d’entraînement sportif Depuis un an, Pierrick a rejoint le Groupe Excellence Alpinisme soutenu par la FFCAM, dont Antoine et Aurélien font également partie. En parallèle, il se forme au diplôme de guide de haute montagne, pour allier sa passion de la montagne et son envie de partager ses connaissances.
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