C’est sûrement l’un des plus grands exploits de l’alpinisme moderne. Le 29 octobre dernier, Nirmal Purja, plus connu sous le nom de Nims Dai, alpiniste népalais et ancien membre des forces spéciales britanniques, venait à bout du Shishapangma (8 027 m) et terminait l’ascension des quatorze plus hauts sommets de la planète. Dans le monde de l’alpinisme, gravir tous les sommets à plus de 8 000’ m représente un objectif tentaculaire et le plus souvent nébuleux, même pour la crème de la crème des grimpeurs mondiaux. Nims Dai aura non seulement réussi à rejoindre le club très fermé des alpinistes aux quatorze 8 000’, mais aura aussi ajouté une myriade de records à son actif. Retour sur une expédition hors du commun par un alpiniste pas comme les autres.
Sommaire
Les 14 x 8 000’, entre histoire, exploits et folie
Si l’Everest et ses 8 848 mètres sont mondialement célèbres, les autres sommets à plus de 8 000 m le sont beaucoup moins du grand public. Au nombre de quatorze, ces sommets représentent le Graal pour tous les alpinistes. Situés dans l’Himalaya, à cheval entre le Népal et le Pakistan, chacune de ces ascension représente un défi physique et technique colossal tout en mettant la logistique humaine à rude épreuve. En effet, il existe un seuil - aux alentours de 7 500 m - à partir duquel le temps de survie est limité. C'est la fameuse "zone de la mort”, endroit sur terre où le corps de l’Homme commence lentement à dépérir, la plupart du temps dans des conditions extrêmes avec des températures allant jusqu’à -40°C et des vents d’une rare violence. Si cela vous semble complètement fou de vouloir se lancer dans une telle aventure aujourd'hui, sachez que la folie des Hommes pour ces montagnes ne date pas d’hier. Cocorico, la première expédition à soumettre un 8 000’ est française, et date de 1950 avec la victoire de Maurice Herzog et Louis Lachenal sur l’Annapurna I (8 091 m). Depuis, les expéditions se sont enchaînées, voire démocratisées. Cependant, malgré des milliers de tentatives chaque année, seule une trentaine d'alpinistes ont réussi le “grand chelem”. Avec 7 ans, 10 mois et 6 jours, le Coréen Kim Chang-Ho était le précédent détenteur du record de vitesse, pulvérisé par Nims Dai avec une nouvelle marque de 6 mois et 6 jours.
Retour sur une symphonie alpine en 14 actes
C’est l’histoire folle de Nims Dai, qui après avoir réalisé l’ascension de l’Everest, du Lhotse et du Makalu en moins de 5 jours, se lance dans le projet de toute une vie : le “project possible”. Son but : gravir les quatorze plus hauts sommets de la planète en moins de 7 mois. Avec une tentaculaire levée de fonds et malgré des difficultés logistiques, Nims Dai commence son fabuleux périple en mars 2019, au camp de base de la Face Nord de l’Annapurna I (8 091 m). Le reste appartient à l’histoire.
Annapurna I (8 091 m), 23 avril 2019
Quoi de mieux que de se mesurer d’entrée à l’une, si ce n’est la plus dangereuse montagne au monde. Dixième plus haut sommet de la planète, l’Annapurna I intimide avec de très nombreux départs d’avalanches et des voies d’accès réputées techniques et extrêmement physiques. Après une période d’acclimatation d’environ 3 semaines, Nims Dai, son équipe et une trentaine d’autres alpinistes partent à l’assaut de l’Annapurna. Le sommet est vaincu le 23 avril 2019. Par ailleurs, au cours de la descente, l’équipe de “Nims” est remontée en hélicoptère jusqu’à 7 500 m pour réaliser une opération de sauvetage inédite sur un alpiniste en perdition et voué à une mort certaine.
Dhaulagiri (8 167 m) : 12 mai 2019
Quelques jours seulement après avoir vaincu l’Annapurna I, Nirmal Purja et son équipe s’attaquent aux 8 167 mètres du Dhaulagiri. Cependant, les conditions météorologiques sont dantesques, avec notamment des rafales de vent à plus de 80km/h. Malgré cela, l’équipe népalaise réussit tout de même à vaincre la 7ème plus haute montagne du monde. Nims Dai confiera par la suite “que le Dhaulagiri était bien 5 fois plus dur que l'Annapurna, à cause de la météo”. Ni une ni deux, Nims Dai redescend au camp de base et emprunte un hélicoptère pour se rendre directement à son prochain défi, le Kangchenjunga.
Kangchenjunga (8 586 m) : 15 mai 2019
C’est l’histoire d’une ascension éclair. Accompagné de Mingma David Sherpa, l’un des meilleurs Sherpas au monde, Nims Dai conquiert le troisième plus haut sommet du globe en moins de 22 heures, un véritable exploit ! Pourtant réputée comme l’un des plus difficiles 8 000 m, l’ascension du Kangchenjunga n’aura pas résisté à l'inarrêtable équipe népalaise. Par ailleurs, les deux alpinistes ont réalisé une nouvelle tentative de sauvetage sur une cordée en difficulté au cours de la descente. Trois sur trois, le “project possible” avance petit à petit et possède désormais les yeux rivés le toit du monde.
Everest (8 848 m) & Lhotse (8 516 m) : 22 mai 2019
Sept jours seulement après le Kanchenjunga, Nims Dai s’attaque à l’Everest et à son plus proche voisin, le Lhotse. Les deux montagnes ne sont séparées que par un col et réaliser la traversée est un exploit pour tout alpiniste. Le 22 mai vers 5 h du matin, Nims Dai pose le pied au sommet de l’Everest et contemple le monde à 8 848 m. Moins d’une journée plus tard, il est au sommet du Lhotse, réalisant un record de vitesse pour cette traversée en 10 heures et 15 minutes (le précédent record lui appartenant déjà). Par ailleurs, c’est à l’occasion de cette ascension qu’il réalise le cliché qui va agiter les médias et le monde de l’alpinisme pendant plusieurs semaines. En effet, on y observe une interminable file d’attente au niveau du ressaut Hillary (8 626 m), avec pas moins d’une centaine d’alpinistes faisant la queue pour atteindre le toit du monde. Ce véritable embouteillage au sommet de l’Everest coûtera d’ailleurs la vie à plusieurs alpinistes.
Makalu (8 485 m) : 24 mai 2019
Seulement deux jours après avoir vaincu l’Everest, Nirmal Purja est de retour au-dessus de 8 000 m avec l’ascension du Makalu, cinquième plus haute montagne du monde. Ascension très relevée et prisée des meilleurs alpinistes mondiaux, Nims établit sur ce sommet un nouveau record en enchaînant trois montagnes à plus de 8 000 mètres en 48 heures et six en un mois. La première phase du “project possible” est terminée, place désormais au Karakoram (Pakistan) pour la deuxième partie de cette aventure himalayenne qui dépasse l’entendement.
Nanga Parbat (8 125 m) : 3 juillet 2019
Après environ deux mois à réunir de nouveaux fonds pour la bonne continuation de son projet, Nims est de retour en très haute altitude avec l’ascension du redoutable Nanga Parbat (Pakistan). Réputée très dangereuse à l’instar de l’Annapurna et du K2, l’ascension du Nanga Parbat est l’un des challenges les plus importants que va rencontrer Nims Dai au cours de son aventure. L’ascension fût néanmoins facilitée par la pose de cordes fixes jusqu’au camp 3 avant un “push” final avec son équipe jusqu’au sommet. De retour au camp de base, l’équipe népalaise doit faire face à de nombreux imprévus et ne peut rallier les Gasherbrum en hélicoptère comme prévu. Il est donc décidé de couvrir la distance de 40 km à pied.
Gasherbrum I (8 080 m) & Gasherbrum II (8 035 m) : 15 et 18 juillet 2019
Nims Dai continue sur sa lancée avec l’ascension des Gasherbrum I et II, et ce, malgré la fatigue qui commence à se faire sérieusement ressentir. Respectivement, 11ème et 13ème plus hautes montagnes du monde, les Gasherbrum sont extrêmement difficiles d’accès et présentent de nombreux risques dans leur ascension (avalanches, séracs et crevasses). Les sommets sont atteints les 15 et 18 juillet 2019. Mauvaise nouvelle, les conditions climatiques ne sont pas favorables à l’ascension du mythique K2, ce qui risque de compromettre la suite de l'expédition. En effet, de nombreux alpinistes professionnels sur place renoncent à son ascension, laissant planer un sérieux doute sur la bonne continuation du “project possible”.
K2 (8 611 m) : 24 juillet 2019
C’est sûrement l’exploit le plus marquant de Nirmal Purja et de son équipe au cours de ses 6 mois d’aventures himalayennes. Arrivés au camp de base du K2 le 20 juillet, ils restent bien décidés à fouler son sommet malgré les nombreux abandons d’autres expéditions. En effet, le K2 est surnommé la “savage mountain” en raison de l’extrême difficulté de son ascension et de la dangerosité de sa voie d’accès principale : on compte environ 80 morts sur ses pentes pour presque 400 succès. Les conditions ne sont d’ailleurs pas favorables en raison d’abondantes chutes de neige et d’un vent très violent. Néanmoins, bien aidé par son équipe et par des membres de l’expédition Seven Summits Trek (agence spécialisée dans les ascensions de 8 000’), il parvient à se frayer un chemin jusqu’au sommet de la deuxième plus haute montagne du monde le 24 juillet.
Broad Peak (8 047 m) : 26 juillet 2019
Du sommet du K2, Nims et son équipe peuvent facilement distinguer la forme tout à fait caractéristique du Broad Peak voisin. Deux jours de repos et les népalais sont de retour aux affaires avec une ascension de 15 heures depuis le camp 1. Malgré les conditions climatiques extrêmes, l’équipe ignore les risques bien réels et parvient à boucler l’ascension du 11ème 8 000’ en moins de 5 mois. Nirmal Purja dira d’ailleurs à propos de cette ascension : “À un moment, j'ai pensé à faire demi-tour pour des raisons de sécurité, mais après une discussion lors de laquelle nous avons réévalué les risques, nous avons décidé d'aller jusqu'au sommet”. Avec cette dernière ascension dans le Karakoram, Nims achève la deuxième phase du “project possible” et doit désormais attendre septembre et la fin de la mousson au Népal pour débuter la troisième partie de son incroyable aventure.
Cho Oyu (8 201 m) : 23 septembre 2019
Après deux mois d’absence et de nombreuses sorties médiatiques, Nims retourne au Népal pour l’ascension du Manaslu. Cependant, en raison des conditions climatiques et de la fermeture imminente par les autorités chinoises du Cho Oyu, il décide de tenter sa chance dans une ascension “express” de la 6ème plus haute montagne du monde. Réputé pour être le 8 000’ le plus “accessible”, le Cho Oyu est rapidement vaincu par Nims Dai et son équipe le 23 septembre 2019. Pas une minute à perdre, il se rend directement au camp de base du Manaslu en hélicoptère pour la suite de son projet.
Manaslu (8 163 m) : 27 septembre 2019
L’ascension du Manaslu, 4 jours plus tard, malgré une neige très abondante en très haute altitude, est un franc succès pour Nims Dai et son équipe. Il est cependant inquiet quant à la possibilité de ne pas obtenir de permis d’ascension pour le Shishapangma, dernier sommet sur sa liste. En effet, les autorités chinoises font obstruction et il faudra une intervention de dernière minute du gouvernement népalais pour faire avancer les choses et délivrer le permis tant attendu à l’équipe du “project possible”.
Shishapangma (8 027 m) : 29 octobre 2019
Moins de sept mois après le début de son aventure, Nims est enfin au pied du dernier sommet qui manque à sa liste. Le Shishapangma est certe le plus petit des quatorze, mais n’en est pas pour autant le plus facile d’accès, loin de là. Sujet aux avalanches, ce sommet est physiquement et techniquement très relevé. Par ailleurs, les conditions climatiques et des problèmes de santé empêchent Nims de progresser dans les meilleures conditions. Cependant, lui et son équipe finissent tout de même par atteindre le sommet le 29 octobre vers 9h du matin, à raison d’une fenêtre météo plus clémente. C’est le dernier sommet de la liste et Nims Dai rentre dans la légende en pulvérisant le précédent record de près de 7 années.
Un record repoussant les limites de l’impossible
Cet exploit a fait couler beaucoup d’encre dans les jours qui ont suivi son annonce, et pour cause. Tout simplement hors-norme, voire quasi "surhumain" pour certains, le népalais à fait tomber pas moins de 3 records en l’espace de 7 mois. Record de rapidité pour atteindre la cime des 14 x 8 000’ en six mois et six jours, record de rapidité pour la traversée de l’Everest-Lhotse (10 heures et 15 minutes) ainsi que le record de trois sommets à 8 000 m en moins de 48 heures. Repoussant les limites connues du corps humain, Nims impressionne par sa détermination et l’endurance dont il fait preuve en très haute altitude. Là où la plupart des meilleurs alpinistes mondiaux auraient renoncé, le népalais triomphait sans sourciller. Dans une interview accordée à L’Equipe, il déclarait d’ailleurs être “content d'avoir été la personne qui a montré que c'était possible”. Bravant les dangers en montagne et venant à bout des sommets les plus dangereux comme l’Annapurna, le K2 ou le Nanga Parbat, Nims Dai n’a jamais vraiment répondu aux questions concernant le moment le plus difficile de ses 7 mois en Himalaya. Un calme et une humilité déconcertante tant l’exploit est grand. Pour cela, les réactions des grands noms de l’alpinisme ne se sont pas fait attendre et sont pour le moins inattendues…
Un exploit qui divise le monde de l’alpinisme
Bon nombre d’alpinistes et aventuriers professionnels se sont prononcés sur l’exploit retentissant de Nims Dai, au profil pour le moins détonnant dans le monde très fermé de l’alpinisme de haut niveau. Reinhold Messner, Don Bowie, Kilian Jornet, Simone Moro ou encore Mathieu Maynadier, tous ont été interrogés sur leur vision de l’alpinisme et la façon dont l’équipe du “project possible” a mené à bien cette folle aventure.
“je trouve ça fou ce qu'il a réussi à faire dans la planification de son défi”
Les avis sont partagés. Si l’exploit est unanimement salué, c’est l’aspect logistique qui semble le plus impressionner parmi les alpinistes. Mathieu Maynadier, spécialiste français des expéditions dans l’Himalaya déclarait : “Si, personnellement, ce n'est pas du tout le genre de projets qui m'intéressent, je trouve ça fou ce qu'il a réussi à faire dans la planification de son défi. Nims Dai a sprinté sur les 14 sommets et il est toujours en vie. Cela prouve que lui et son équipe sont loin d'être des novices de la haute montagne. Et puis, quelle que soit la façon dont on grimpe un 8000, cela reste un très grand défi avec ses dangers objectifs qui sont les mêmes pour tous les alpinistes”. D’autres alpinistes sont cependant plus critiques quant à la performance de Nims Dai, à l’instar de Kilian Jornet, récent vainqueur de l’Everest en solo et sans oxygène qui salue la performance tout en ajoutant que “Ce qu'a fait Nims Dai est intéressant à bien des égards, mais n'a, à mon sens, aucun intérêt d'un point de vue purement sportif, « alpinistique”. En effet, nombreux sont ceux qui voient d’un mauvais œil la logistique tentaculaire utilisée pour vaincre les montagnes, dont Nims Dai et son équipe sont le parfait exemple. Une vision plus “logistique” qui contraste avec le style minimaliste des “puristes” comme Jornet. Des voix se sont aussi élevées quant à l’équipe de Nims, composée uniquement de sherpas d’exception comme Mingma David Sherpa (devenu le plus jeune alpiniste à gravir les 14 x 8 000’ au cours de l’expédition) ou du talentueux Gessmann Tamang, lui permettant de faciliter sa progression là où d’autres préfèrent se mesurer seuls à la montagne…
Une chose est sûre, cet exploit va rester gravé dans les annales de l’alpinisme et ce, pour un bon moment. Si Nims Dai assure qu’il serait ravi de voir un autre lui subtiliser son record, nous le soupçonnons de prévoir de nouvelles expéditions tout aussi exceptionnelles, à commencer par un retour au K2 en juin et une traversée Everest-Lhotse pour le compte d’expéditions commerciales organisées par son agence fraîchement lancée.
Vous n’avez sûrement pas la condition physique et l’expérience de Nims Dai (sauf si Mathieu ou Kilian vous nous lisez 🙂 ), mais peut-être cherchez vous votre “project possible” pour cette année ! Découvrez sans plus attendre notre sélection de défis aventure, encadrés par des guides et agences de confiance :
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