Noam, amateur de grands espaces et de nature, a réalisé l’ascension du Grand Paradis (4 061 m) au cours de l’été 2019. Accompagné de plusieurs amis, il nous raconte l’ascension de son premier 4 000’, de la préparation dans le Massif de la Vanoise à l’assaut final vers ce sommet mythique. Récit.
Genèse du projet
Tout a commencé par une proposition anodine. Fort de deux expériences en haute montagne, avec les ascensions du Kilimandjaro et du Mont Blanc, Baptiste avait émis, à notre groupe d’amis et moi-même, l’idée d’une initiation à l’alpinisme sur un sommet «facile». Cette suggestion aurait bien pu tomber dans l’oubli, comme avant elle tant d’autres projets trop ambitieux, mais c’était sans compter sur les capacités d’organisation hors normes de notre cher ami. Si nous donnions notre accord, nous savions tous que la situation ne lui échapperait pas, et c’était l’assurance d’un premier contact avec l’alpinisme dans les meilleures conditions possibles. Malgré des réticences et des questionnements sur notre forme physique, le concept d’activité sportive n’étant plus, pour certains d’entre nous, qu’un vague souvenir, nous nous sommes lancés à l’assaut des 4 061 mètres du Grand Paradis, dans les Alpes italiennes.
La préparation
Fin juillet 2019, nous voilà partis pour Tignes avec Baptiste et Nino, où nous aurons une semaine pour randonner et produire quantité de globules rouges, de manière à se préparer au mieux à l’ascension. Nous arrivons tant bien que mal à la station, malgré une voiture qui peine à gravir les pentes de plus de 1% et après un détour de quelques dizaines de kilomètres ; ce 27 juillet, une date choisie tout-à-fait arbitrairement, c’est précisément le jour où le Tour de France arrive non loin de notre destination.
Notre camp de base est un appartement prêté par la famille de Baptiste, au beau milieu de Val Claret, le village le plus haut de Tignes offrant d’infinies perspectives en termes de marche à pieds. Le logement étant prévu pour quatre personnes, nous y menons une existence paisible durant les premiers jours. Cette paix sera de courte durée, puisque nous devrons bientôt cohabiter avec cinq autres individus qui prennent beaucoup de place.
L’ambiance est chaleureuse sur les sentiers, le randonneur s’accommode sans peine de la compagnie de ses semblables, c’est merveilleux. Des conditions d’entraînement idéales en somme.
Néanmoins, rien ne nous fait déroger à nos résolutions : une fois l’équipe au complet, qu’il pleuve ou qu’il neige, nous randonnons tous les jours, adoptons un mode de vie ascétique, une alimentation équilibrée, et ce dans un cadre idéal. La météo est très clémente dans l’ensemble, ce qui me vaut d’ailleurs de multiples coups de soleil, et les paysages n’en sont que plus beaux. L’Aiguille Percée surplombant Tignes à 2 778 mètres de haut constitue déjà un modeste objectif ; quant au col de la Leisse, sur le GR55, il nous offre une vue sur toute la chaîne du Mont-Blanc, qui trône à une vingtaine de kilomètres au Nord. Le sommet glacé de la Grande Motte toute proche nous fait de l’œil, mais en l’absence d’équipement ad hoc, nous renonçons rapidement à la tentation. Nous trouvons ainsi sur les pentes environnantes de quoi mettre nos jambes à l’épreuve, toujours avec un rythme de marche soutenu pour mieux s’autoriser, à l’occasion, une baignade dans l’eau glacée des lacs d’altitude ou quelques minutes d’observation des marmottes et des vautours fauves. L’ambiance est chaleureuse sur les sentiers, le randonneur s’accommode sans peine de la compagnie de ses semblables, c’est merveilleux. Des conditions d’entraînement idéales en somme.
J-1 : en route vers le refuge
C’est dans une forme olympique que nous prenons la route au matin du 5 août. Nos sacs de 40 litres sont remplis de tas de choses destinées à parer à des tas d’éventualités. Direction Val d’Isère pour la location des chaussures d’alpinisme, le reste du matériel étant pris en charge par les guides. Nous nous dirigeons ensuite vers Valsavarenche, dans la vallée d’Aoste, point de départ de la marche. À vol d’oiseau, les deux villes sont distantes d’à peine vingt kilomètres, mais il nous faudra deux bonnes heures pour avaler la centaine de kilomètres de route ; la montagne est ainsi faite.
Arrivés aux confins de la vallée du Valsavarenche, déjà quelques arêtes enneigées nous surplombent, mais aucune d’entre elles ne semble être le Gran Paradiso. La rencontre avec les guides instaure un climat de confiance et apaise un peu les inquiétudes que la semaine d’entraînement n’a pas tout-à-fait effacées. François, qui avait guidé Baptiste jusqu’en haut du Mont-Blanc, et Bruno, ancien gendarme de haute montagne reconverti, se montrent bienveillants ; ce jour-là du moins, que l’on se rassure, l’effort ne serait pas insurmontable.
La rencontre avec les guides instaure un climat de confiance et apaise un peu les inquiétudes que la semaine d’entraînement n’a pas tout-à-fait effacées.
Nous nous engageons derrière eux sur le sentier conduisant au refuge, caché à quelques centaines de mètres au-dessus de nous, où nous passerons la nuit. Effectivement, le début de la « grande balade » est plaisant, à l’ombre des conifères, et le chemin qui serpente plus haut dans les alpages est en pente douce. Nous croisons des grappes de marcheurs qui redescendent de leur ascension, et leurs visages n’expriment pas toujours une grande vitalité, parfois même une certaine détresse. Tout le monde se remémore alors le pari conclu par Baptiste quelques temps avant de se lancer dans cette entreprise : il s’engage à se teindre les cheveux en blond si nous arrivons tous au sommet. Voilà qui est rassurant. Cependant, il est trop tard pour faire demi-tour, n’est-ce pas ?! Pour ne pas penser à ce qui nous attend sur la route, apparemment semée d’embûches, de notre invisible objectif, nous développons un jeu qui consiste à deviner en quelle langue le prochain promeneur que l’on croisera nous dira bonjour.
Après deux heures de marche, nous atteignons le refuge Victor-Emmanuel II, du nom du premier roi de l’Italie unifiée et éminent défenseur du bouquetin des Alpes. L’édifice, à l’architecture singulière rappelant celle d’une station météo dans l’Arctique, repose en contrebas d’un grand pierrier. Le glacier ne s’offre toujours pas à notre vue.
Désormais, place à la préparation du jour J. Nous faisons un point matériel et technique avec François et Bruno : comment s’encorder, enfiler un baudrier, chausser des crampons, etc. Ils nous informent précisément sur le niveau de difficulté de la suite de la marche. Sur le Grand Paradis, le risque de chute de pierres est quasiment nul, il y a peu de crevasses, et la pente est suffisamment modérée pour permettre la marche jusqu’au sommet (pas d’escalade). Des pauses seront faites régulièrement, mais la montée sera longue, la descente se fera d’une traite, et l’arête du sommet est déconseillée en cas de vertige.
Nous faisons un point matériel et technique avec François et Bruno : comment s’encorder, enfiler un baudrier, chausser des crampons, etc.
Place ensuite à la décontraction. Nous chaussons notre plus belle paire de Crocs dépareillées, et nous installons dans le réfectoire autour d’une ou deux bières, puis d’un dîner de fin d’après-midi à la fois copieux et rudimentaire : soupe, pâtes, viande. Voilà un condensé de la convivialité toute montagnarde de ce lieu, hors du temps et de l’espace. Bruno nous révèle au fil du repas toute l’étendue de sa science des blagues douteuses et parfois incompréhensibles. Il est encore tôt, mais c’est déjà l’heure de se disperser dans les chambres ; départ fixé à 4h. Dans nos lits superposés, dont les draps et couettes ne sont que de vastes empilements de couvertures, nous tentons de trouver le sommeil, avec plus ou moins de succès au gré des ronflements des uns et des autres.
Nous chaussons notre plus belle paire de Crocs dépareillées, et nous installons dans le réfectoire autour d’une ou deux bières[...]
Jour J : vers le sommet
Étrangement, j’ai le sentiment d’avoir passé une nuit correcte lorsque les réveils sonnent, un peu avant 3h30 en ce 6 août. Nous sautons avec un enthousiasme assez généralisé dans nos habits du jour, et nous retrouvons au complet autour d’un petit déjeuner. Peu après 4h, nous voilà à l’assaut du pierrier, avec l’aide bienvenue de quelques lampes frontales. Les étoiles sont encore bien visibles mais on devine déjà une lueur à l’horizon. Au contact des premières neiges, nous chaussons les crampons et nous encordons, imités par les nombreuses autres troupes aux alentours. Le ciel est presque entièrement dégagé, se colore de rose et le soleil commence à projeter ses rayons sur les crêtes auxquelles nous tournons le dos, de l’autre côté du Valsavarenche.
À mesure que l’oxygène se raréfie, je me concentre sur ma respiration et fais abstraction des crampons qui accrochent mon pantalon à chaque pas en avant, mais globalement, je me sens en forme. Nous progressons en silence. Il est presque 9h lorsque nous arrivons au pied du sommet, et malheureusement, le temps se fait de plus en plus menaçant. La température chute, des nuages sombres se profilent à l’horizon, et une neige mêlée de pluie commence à se déposer sur nos visages. Nous nous débarrassons de nos crampons et troquons nos bâtons contre un piolet ; il nous faut faire vite, car les conditions ne vont pas en s’arrangeant. Dans la queue pour monter sur le piton qui culmine au sommet, François s’impatiente devant le manque de dynamisme du groupe d’espagnols qui nous précède : « Venga ! Le mauvais temps arrive ! ». L’à-pic plongeant des deux côtés de la proéminence rocheuse est malheureusement bien visible malgré le brouillard qui nous enveloppe, et la progression est acrobatique. À peine le temps de prendre quelques photos, il nous faut déjà redescendre, mais c’est plus prudent ainsi. Mission accomplie pour nous tous, et pari perdu pour Baptiste.
L’à-pic plongeant des deux côtés de la proéminence rocheuse est malheureusement bien visible malgré le brouillard qui nous enveloppe, et la progression est acrobatique.
Le temps de la redescente est léger et laisse entrevoir l’état d’esprit du retour sur la « terre ferme ». La fierté est là, attendant le repos pour être savourée entièrement. Bien évidemment, le mauvais temps qui faisait rage au sommet se dissipe dès l’instant où nous en descendons et laisse place à un ciel bleu. Il est à nouveau temps d’immortaliser.
Alors que nous progressons encore sur la neige, nous enlevons les crampons et pouvons désormais glisser plutôt que marcher, ce qui raccourcit considérablement notre temps de trajet et soulage nos genoux mis à rude épreuve. Une brève halte au refuge, atteint avant 12h, pour engloutir un plat de pâtes, et nous voilà repartis sur le chemin de la vallée. La descente est bien plus silencieuse que la montée ; nous voilà à la place des randonneurs en détresse de la veille, dont l’esprit, comme le nôtre, n’était sans doute animé que par la perspective d’une bonne nuit de sommeil, tout du moins d’une sieste. De retour à notre point de départ, nous concluons cette aventure, comme beaucoup d’autres finalement, par une pinte de bière. Il est temps de dire au revoir à François et Bruno et de les remercier pour leur bienveillance de tous les instants.
De retour à notre point de départ, nous concluons cette aventure, comme beaucoup d’autres finalement, par une pinte de bière.
Encore nous reste-t-il à fournir un ultime effort pour rejoindre Tignes, et ce ne sera pas chose facile pour tout le monde. J’embarque Paul et Nino dans ma fidèle 206, mais l’autre équipage est impliqué dans un accrochage en cours de route, heureusement sans gravité. Malheureusement en revanche, ce sont eux qui ont les clés de l’appartement. Nous accueillons cette nouvelle avec beaucoup de fatalisme (un effet de la fatigue sans doute), et nous voyons contraints, en l’absence de toute alternative, d’aller boire une autre bière en l’honneur de notre accomplissement.
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